L’artiste italienne a toujours été fascinée par la lumière et la matière. Basée à Venise, où elle a découvert la fabrication du verre à Murano, elle a imaginé une œuvre onirique en forme de nuages colorés nommée « Clouds and Coulds », véritable dialogue entre les matières et les traditions. Elle expose aujourd’hui à la Samaritaine une sélection baptisée « Carpe(t) Diem », en écho à la rencontre orchestrée par notre campagne entre Paris et Venise, et nous révèle son rapport à l’art ainsi que son inspiration placée sous le signe de l’émotion.
Vous avez commencé par une carrière dans la mode, qu’est-ce qui vous plaisait dans cet univers ?
Je suis passée par la Saint Martins School, j’ai d’abord évolué dans l’industrie de la mode en tant qu’acheteuse. Quand je vivais à New York, j’observais énormément les gens, le métro était comme un défilé permanent ! J’adorais analyser leurs looks, de la même manière que j’ai toujours beaucoup regardé la nature et l’art. Tout cela me nourrit. Et puis j’ai compris avec le temps que je voulais passer du côté de la création.
Comment l’art est-il devenu votre métier ?
À 25 ans, j’ai vécu à Beyrouth où l’artisanat est très présent. Ils recherchaient des pièces à la fois créatives et fonctionnelles, ce challenge est devenu mon identité. Faire du beau et de l’utile à la fois. Je ne me suis jamais tellement considérée comme une artiste en tant que telle, c’est juste arrivé naturellement dans ma vie. Ce sont plutôt les gens autour de moi qui m’ont poussée à aller vers l’art. J’ai vraiment accepté l’idée d’être une artiste à part entière quand je suis venue à Venise, il y a cinq ans. C’est le moment où j’ai décidé de me consacrer pleinement à ça et à définir mon esthétique personnelle.
Votre inspiration première est la lumière, qu’a-t-elle de si fascinant à vos yeux ?
J’ai toujours été attirée par la beauté de la nature. Ma fascination pour les nuages et leur inconsistance si cohérente m’a toujours aidée à me sentir ancrée. Je suis une nomade, je change sans arrêt de lieu de vie - Milan, Londres, New York, Venise -, et pourtant je me sens chez moi partout, juste en observant la nature. Elle aussi est en perpétuel changement et constante à la fois. Cette antithèse me plaît. La lumière, elle, est un médium qui interagit avec tout ce qui l’entoure, c’est le plus immatériel. On peut la sentir mais pas la toucher. C’est de l’émotion pure, et c’est de ça que part mon inspiration. Mon œuvre est construite et pensée mais je ne veux pas hyper-intellectualiser l’art. Tout est dirigé par l’émotion.
Avec quels matériaux aimez-vous travailler ?
J’ai commencé avec le laiton pour mes accessoires illuminés. Ensuite, je me suis tournée vers le verre, qui est le matériau qui capte le plus la lumière, mais j’aime les mélanges. J’utilise aussi du marbre ou du bronze, selon l’émotion que je veux transmettre. Le verre représente un challenge particulier, parce que le résultat dépend de votre relation avec lui, vous avez très peu de temps pour le modeler avant qu’il ne refroidisse.
Qu’est-ce qui vous séduit dans la technique traditionnelle de fabrication du verre de Murano ?
L’alchimie, la transmutation de la matière dans des formes, des objets, des couleurs variés. Je suis toujours présente lorsque les artisans travaillent sur mes pièces, j’ai mes croquis avec moi. Je ne souffle pas le verre mais je lui donne forme lorsqu’il est chaud. Ça m’apprend énormément, notamment sur le fait de savoir lâcher prise. Il faut accepter la part de liberté de la matière dans le processus, ce ne sera jamais totalement comme on l’imaginait. Et puis je suis à 100 % à ce que je fais à ce moment-là, rien d’autre ne vient perturber mes pensées.
Qu’incarne Venise pour vous ?
Venise est un espace de calme, une forme d’échappatoire… Cette ville construite sur l’eau incarne une utopie, un lieu où tout est possible.
Et Paris ?
La stimulation. Je regarde les gens, l’architecture, la lumière si particulière dans cette ville… C’est très inspirant.
Qu’est-ce que la Samaritaine et le Fondaco Dei Tedeschi ont en commun ?
D’être à la fois près du ciel et de l’eau. On retrouve aussi dans ces deux bâtiments l’importance de la géométrie dans leur architecture, et une riche histoire.
Qu’est-ce que raconte votre série « Carpe(t) Diem » présentée à la Samaritaine ?
Les mots sont très importants dans mon travail, j’adore les anagrammes et les oxymores. En me promenant à Paris, je regardais le ciel et j’ai trouvé que les nuages avaient une allure de tapis (« Carpet » en anglais). Par ailleurs, en prenant le temps de les regarder, je me suis souvenue de l’importance de profiter de chaque instant : « Carpe Diem ». En jouant avec les titres, comme j’aime le faire, c’est devenu « Carpe(t) Diem ». Comme les vrais nuages où chacun y voit une forme différente, on peut percevoir ce qu’on veut à travers cette série, que ce soit une lampe, un arbre ou un nuage. C’est la liberté de l’imaginaire !
Quel est le cliché le plus vrai sur Paris ?
« Paris est toujours une bonne idée »
Et sur Venise ?
Je pense à un dialogue dans Les Villes Invisibles d’Italo Calvino où l’un des personnages dit : « À chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise ». Lorsqu’on aime vraiment quelque chose ou quelqu’un, on l’emmène partout avec soi.