Thomas Liu Le Lann : « Les sucettes incarnent quelque chose de familier »

2 novembre 2023

L’artiste pluridisciplinaire propose des environnements complets qui mêlent culture populaire et questions identitaires. À travers ses sculptures, poésies ou objets du quotidien, il livre des récits visuels qui se jouent des formats, des matériaux, et interroge le rapport à l’héroïsme. Alors qu’il dévoile à la Samaritaine sa série de sucettes géantes, il évoque son processus artistique, son rapport à la gourmandise et à l’enfance.

Comment définiriez-vous votre art ?

Mon travail débute toujours par un récit d’autofiction, autour duquel je crée des objets, des films ou des sculptures pour raconter des histoires. J’aime travailler des formes en les transformant, en changeant d’échelle, en réinterprétant les matériaux, pour évoquer des questionnements souvent liés au corps et au désir. Lorsque j’ai une idée, je collabore avec des artisans pour la réaliser. Je surfe sur la vague du débutant, je garde une approche de novice, parce que le but n’est pas de me former à de nouvelles techniques mais de me lancer des défis et de savoir m’entourer.

Quels matériaux utilisez-vous et de quelle manière les utilisez-vous ?

Dans le cas des sucettes, exposées à la Samaritaine, il s’agit de verre soufflé, de métal et de bois. De manière générale, j’utilise beaucoup de matériaux différents, mais aussi la photo, le son ou la vidéo. J’ai beaucoup travaillé le textile rembourré par de la ouate notamment. C’est une forme durcie mais en réalité molle, comme le verre soufflé, ce qui donne de la vulnérabilité à la matière. J’aime ça.

Quelles sont vos inspirations et les messages que vous souhaitez transmettre ?

La plupart du temps ce sont les gens qui m’inspirent, les rencontres amoureuses principalement. Ensuite, il y a une différence entre ce que je veux dire et ce que raconte réellement mon œuvre. Ça appartient à l’interprétation du spectateur ! Dans beaucoup de cas, en racontant des récits, nous nous exposons à notre enfance, à notre histoire familiale, ce sont des images que l’on fait resurgir et qui sont des lieux communs à tout le monde. En voyant mes créations, les gens me parlent souvent de leur propre enfance, et j'accueille leur récit à eux avec plaisir.

Comment sont nées ces sucettes géantes, aujourd’hui exposées à la Samaritaine ?

L’idée vient d’un souvenir d’adolescence, lorsqu’un garçon qui ne voulait pas que ses parents sentent l’odeur de cigarette a pris une sucette avant de rentrer chez lui ! Je suis allé voir des souffleurs de verre, et nous avons créé un moule à partir d’un tronc d’arbre usiné à l’intérieur, dans lequel nous avons soufflé le verre. Nous y avons ajouté du bicarbonate pour former des bulles d’air et donner de l’authenticité. Pour le bâton de la sucette, je voulais un contraste de matières, j’ai donc choisi du bois laqué. L’ébéniste a ajouté énormément de laque pour un effet très lisse et brillant.

Pourquoi connaissent-elles un tel succès selon vous ?

Ce qui a plus, c’est ce format trop grand qu’on peut toucher sans le mettre dans la bouche, clairement destiné à un adulte et non à un enfant. L’effet du verre soufflé est impressionnant, avec les jeux de matières, de couleurs, de transparence, sur une forme ronde. Ça incarne quelque chose de familier.

Qu’a de particulier ce projet Training part 7 et sa scénographie pour le grand magasin ?

Pour la Samaritaine, j’imaginais mes sucettes encagées, pour qu’elles soient à portée de bras mais inatteignables. Côté Rivoli, 20 sucettes de couleurs différentes sont alignées de manière régulière, sur une grande étagère murale en grilles. Dans l’atrium, côté jourdain, c’est un empilement de cages qui forme une sorte de tour, où les sucettes se trouvent enfermées. Cela évoque aussi un immense tas de cadeaux !

Que vous inspire la gourmandise ?

Au moment où l’on m’a parlé de ce projet à la Samaritaine, je faisais très attention à mon alimentation, parce que j’ai un rapport compulsif au sucre, donc j’ai perdu pas mal de poids à ce moment-là. La gourmandise était alors liée à la notion de privation, à l’image du pot de bonbons placé bien en hauteur, ou du placard rempli de goûters mais auquel on ne peut pas avoir accès ! Ce qui renforce évidemment le désir.

Comment percevez-vous l’art de recevoir à la française avec votre regard suisse ?

C’est très différent en Suisse, donc il y a quelque chose de féérique et d’inspirant là-dedans ! Je pense à l’art, aux banquets, aux natures mortes, aux retours de chasse, à Gargantua, à l’argenterie… Ça développe l’imaginaire !

Qu’incarne la Samaritaine pour vous ?

J’étais impressionné en la découvrant à sa réouverture. Surtout par la verrière, la fresque, le contraste Art Déco et Art Nouveau. Le travail artisanal est très présent dans le bâtiment, je trouve que c’est assez unique à Paris, ce sont des éléments de style que l’on voit assez peu finalement. Avec sa taille, son architecture, la façon dont c’est agencé, on se laisse vite charmer, et il est difficile de ressortir sans acheter quelque chose ! Je voulais impérativement mettre des sucettes sous cette verrière parce que le verre aime par-dessus tout la lumière, surtout celle crue de l’hiver.

Training Part 7: Rez-de-chaussée, côté Rivoli
Training Part 7: Atrium au rez-de-chaussée, côté Pont-Neuf